"L'intention phénomènale"
- Par dubois-danielle
- Le 28/12/2014
- Dans Paroles de Clowns
"Le clown dévore le monde en allant à sa rencontre. En cela, il participe pleinement à sa manifestation. Le monde se révèle à chaque fois différent et c'est ok pour le clown. Il participe à la révélation d'un phénomène qui va bien vite lui filer entre les orteils. Il lui sert de faire-valoir. Cette intention phénomènale fait de lui un véritable artiste. En effet, l'intention esthétique est avant toute chose, phénomènal. Elle passe par nos sens pour favoriser l'expression de ce qui, dans l'instant, cherche à prendre forme.
Le clown est capable à la fois de voir ce qui est là et de rêver à autre chose. Il est un moyen d'expression sensible et poétique. La réalité quotidienne nourrit ses rêves, ellle ne les tue pas. Et c'est énorme ! Son intention se résume à révéler le lieu. Le personnage du clown est poétique. Il nous ouvre un truc immense en ne cherchant pas à imposer un message, un sens ou une moralité. C'est le seul jeu d'acteur qui autorise une action juste pour elle-même, pour le plaisir. Dans tous les autres niveaux de jeu, il faut une bonne raison pour agir. Le clown débarque sans que rien ne justifie sa présence. Les actions qu'il va accomplir devant le public n'apporteront aucune justification. Au contraire, plus l'acteur laissera faire le clown, plus il sera perdu. La confusion sera palpable et pourtant tout ira pour le mieux. Le clown part d'une position particulière. Il est libre de faire ce qu'il veut et tout ce qu'il va souhaiter ne viendra qu'emberlificoter la situation. Il la complique pour mieux l'ouvrir. Il la démonte pour lui donner du jeu, pour l'assouplir. Il casse la linéarité que le quotidien construit contre une action et son sens, entre un objet et son usage. Et le sens, à savoir la signification autant que la direction, se réinvente constamment.
Le sens reste toujours inachevé. C'est à partir de ce postulat qu'Husserl développe son concept d'intentionnalité. Contrairement aux suppositions essentialistes et déterministes, pour lui la quête de sens n'a pas de fin car le sens n'est pas déterminé par avance. Sur scène, chaque mouvement de l'acteur induit une nouvelle image et chaque fois la possibilité d'un sens nouveau s'ouvre. Le sens se construit à chaque rencontre, par fulgurance, puis se déconstruit et repart ailleurs. C'est l'intention portée aux choses qui leur donnera du sens sur le moment, car elle se nourrit de notre histoire, de nos désirs, de nos connaissances. A travers tout cela, nous rencontrons une chose ou une émotion. La conséquence est que nous ne les rencontrons jamais sans filtre. Nous croyons connaitre la chose, mais ce que nous connaissons, c'est la rencontre avec cette dernière. L'intention de l'acteur est nourrie de ses rêves et de son histoire. Si l'acteur se met à nu en entrant sur scène, c'est pour offrir au clown la possibilité d'une rencontre plus naïve avec des mondes extérieurs et intérieurs. Il dépose tous ses désirs et son histoire dans une grande marmite. Le clown n'a plus qu'à mettre le feu et mijoter la soupe."
Extrait du livre "Le clown thérapeuthe" d'Isabelle Schenkel Editions L'Harmattan pages 80 - 81